Le journaliste Ahmed ABBA, correspondant de Radio France internationale (RFI) en langue Haussa au Cameroun, a été condamné le lundi 24 avril 2017 par le Tribunal militaire de Yaoundé à dix ans de prison ferme. Il devra en outre payer une amende de 55 millions de Francs CFA.
Le MRC, qui souhaite tant l’indépendance du pouvoir judiciaire dans notre pays, n’entend pas ici commenter une décision de justice. Toutefois, au-delà de la décision elle-même, c’est contre la terreur d’État qui s’institutionnalise dans le pays, en particulier depuis l’adoption de la loi n° 2014/028 du 23 décembre 2014 portant répression des actes de terrorisme, qu’il s’élève vivement.
Tout en approuvant le principe de l’adoption d’une loi appropriée pour faire face au défi du terrorisme, le MRC avait alerté l’opinion nationale et internationale sur la qualité de cette loi n° 2014/028 du 23 décembre 2014.
En effet, le MRC avait dénoncé et maintient encore que, telle qu’elle est rédigée, cette loi vise, au-delà de la lutte contre le terrorisme, le maintien de l’ordre politique dominant en conférant au régime le pouvoir de réduire au silence par les moyens d’État et en instrumentalisant la justice, tous ceux qui pensent différemment.
Le MRC avait perçu par avance dans la formulation de cette loi une volonté manifeste du régime de sacrifier à des fins politiciennes les libertés politiques, civiques et professionnelles des Camerounais sur l’autel de la lutte contre le terrorisme. Il s’agit d’une loi liberticide.
Depuis lors, l’actualité dans notre pays lui donne chaque jour malheureusement raison. La condamnation à une si lourde peine de prison et d’amende d’un journaliste, au motif qu’il n’aurait pas dénoncé des personnes rencontrées dans le cadre de l’exercice de son métier, instaure la criminalisation d’un métier dont l’apport à la démocratie est irremplaçable. Ce métier obéit à une déontologie dont les preuves de la violation par Ahmed ABBA restent encore à apporter.
Évoquant cette condamnation, le ministre de la Communication, dans une sortie à la CRTV radio le 25 avril 2017, déclarait qu’Ahmed ABBA, qui n’est selon lui qu’un « pseudo-journaliste, n’est ni plus ni moins qu’une excroissance de Boko Haram qui se cache derrière la façade respectable de RFI pour perpétrer son forfait ».
Une déclaration aussi haineuse et surtout sans preuve rendue publique du porte-parole du Gouvernement, dévoile l’appréhension que le régime aurait pour une presse libre, indépendante et imperméable à la corruption sur laquelle il fonde son contrôle de l’opinion et sa perpétuation au pouvoir. Elle masque surtout les déficiences des services compétents qui auraient dû anticiper eux-mêmes ou à défaut exploiter judicieusement les contacts de M. Ahmed ABBA.
Ahmed ABBA devient une des nombreuses victimes sacrificielles de la liberté d’information. A travers son cas, c’est la liberté de la presse, que détestent tous les régimes autoritaires, qui est condamnée.
Au regard du désastre social et économique dans lequel trente-cinq ans de règne d’un régime corrompu et allergique à la contradiction a plongé le Cameroun, qui à la fin des années 1970 suscitait d’importants espoirs de développement, la liberté de ton de tout média, dont celui que représentait Ahmed ABBA dans notre pays, est perçu par les faucons de ce régime comme une véritable menace à leur survie.
Le cas d’Ahmed ABBA doit préoccuper tous les Camerounais et tous les démocrates, toutes les organisations nationales et internationales engagées dans la défense des libertés et tous ceux qui sont intéressés par son avenir politique.
Les Camerounais ne doivent pas être dupes: l’ordre politique que veut imposer le régime à travers cette lourde condamnation s’inscrit dans les répétitions générales avant les scrutins électoraux de 2018 pour lesquels le régime se prépare à s’opposer à leur volonté profonde de changement par une répression tout azimut et aveugle.
Le MRC appelle le pouvoir à recourir à toutes les voies de droit et mécanismes qu’offre notre ordonnancement juridique pour libérer Ahmed ABBA, qui est un journaliste professionnel dont la pratique du métier n’a pas été, à ce jour, remis en cause ni par ses pairs camerounais et étrangers, ni par son employeur.
La Communication du MRC
Le 02 Mai 2017