02
Oct 2014

Le 8 mai 2014, le Président du MRC, le Professeur Maurice KAMTO a accordé à l’hebdomadaire panafricain, Jeune Afrique, paraissant à Paris, une interview panorama sur la situation politique, économique et sociale du Cameroun.

Un résumé de cette interview est paru dans le N°2787 (8 au 14 juin) de cet hebdomadaire sous la forme d’une « interview croisée ». Votre journal, Renaissance, vous en donne ci-après la version complète.

Question n°1: Quel regard portez-vous sur l’évolution du Cameroun ces 12 derniers mois ? (notamment sur la gouvernance du pays, la situation économique et le bien-être des camerounais…)

Vous parlez d’évolution, mais le Cameroun évolue-t-il ?  Il y a vraiment lieu d’en douter. Tenez : du point de vue de la gouvernance politique, on a certes enfin mis en place un Sénat dont on ne peut du reste pas dire que les conditions de la désignation de ses membres confortent la démocratie dans notre pays ; mais dix huit ans après l’adoption de la Constitution de 1996, le Conseil constitutionnel reste une arlésienne. Tout récemment encore, au lendemain des élections couplées du 30 septembre 2013, le Président de la République l’annonçait pour les semaines à venir; six mois plus tard on attend toujours cette institution dont le rôle dans la régulation juridictionnelle de la vie politique camerounaise est fondamental. La Commission de la déclaration des biens et avoirs des principaux responsables de l’Etat, créée en application de l’article 66 de la Constitution, n’est pas mise en place près de cinq ans après l’adoption de la loi  y relative, le décret présidentiel d’application de cette loi étant toujours attendu.  Cela laisse pour le moins perplexe à un moment où l’on ne cesse de clamer la lutte résolue contre la corruption qui gangrène le pays et compromet ses perspectives de développement. La célébration, avec trois  ans de retard, du 50e anniversaire de la Réunification du Cameroun, au lieu d’être une occasion d’affermissement de l’unité de notre pays grâce à une vraie attention aux frustrations exprimées par une partie non négligeable de la communauté anglophone, a donné lieu à une sorte de révisionnisme de notre histoire politique et de gaspillage des fonds publics pour des festivités dérisoires parce que vides de sens. A cela s’ajoute un afflux des réfugiés provenant des pays voisins en crise et l’insécurité grandissante alimentée à l’intérieur par la persistance des activités criminelles des «coupeurs de routes» et à l’extérieur par des périls nouveaux à nos frontières nourris en particulier par certains fondamentalismes religieux.

La situation économique, pour sa part, est franchement préoccupante. On avait annoncé un pays transformé en immense chantier à partir de janvier 2012 ; on a brocardé ceux qui avaient quelques doutes sur cette pesée magique ou, si l’on préfère, cette prophétie. Mais la réalité est là : après la pose de quelques premières pierres avec faste protocolaire et pompe médiatique, les chantiers restent confinés à un projet portuaire et trois projets hydroélectriques dits structurants. La croissance de l’économie camerounaise reste atone et en dessous de la moyenne continentale ; elle demeure en tout cas très insuffisante pour impulser un développement significatif du pays quand on la rapporte au taux de croissance démographique et au taux d’inflation.

Quand  au bien-être des Camerounais, je n’ai pas besoin de faire une longue tirade à ce sujet. Le terme bien-être est presque indécent pour l’écrasante majorité de nos compatriotes, car la situation réelle est celle d’une pauvreté accrue et de la souffrance profonde de personnes qui ont à peine un repas par jour, des familles déstructurées  par le chômage endémique  auquel sont réduits nombre de parents et la majorité des jeunes. Comment parler de bien-être quand l’eau courante est devenue un luxe dans la plupart des agglomérations du pays ? Savez-vous que dans certaines grandes villes du Cameroun les populations se contentent de l’eau de puits quand il en existe ; qu’il y a des quartiers de Yaoundé, la capitale  de notre pays, où il n’y a pas eu d’eau courante depuis trois ans et que les gens en sont réduits à se rendre aux marigots des villages avoisinants pour puiser de l’eau à boire? Je ne vous parle pas des coupures intempestives et récurrentes d’électricité qui infligent des pertes considérables à l’économie et accroissent l’insécurité dans nos villes, ni des désagréments causés aux particuliers qui ne peuvent se plaindre à personne. Et avec tout cela l’opérateur monopolistique de ce secteur a osé annoncer une hausse des tarifs ! Je ne peux manquer d’évoquer ici les conditions inhumaines de déguerpissement des populations de Nkomba dans Bonabéri à Douala. Je n’encourage en aucune façon la délinquance foncière et l’occupation anarchique des terrains de l’Etat et autres entités publiques ; mais rien n’obligeait à faire ce déguerpissent qui concerne plusieurs milliers de familles en plein milieu de l’année scolaire et en cette période de saison des pluies. On transformé de cette manière environ quinze mille de nos compatriotes en des réfugiés dans leur propre pays.

En somme, la situation globale du pays n’est pas très encourageante. On assiste à  une sorte d’engourdissement générale qui aggrave le sentiment de résignation qui prévaut au sein de la population depuis un certain temps déjà. Mais cet apparent endormissement est trompeur, car sous la cendre couvre le feu; il suffit d’un rien pour que la situation échappe à tout contrôle, comme l’a bien montré récemment le climat qui a entouré la levée du corps d’Ateba Yene, une jeune figure de la scène politico-médiatique camerounaise, disparu prématurément.

Question n° 2: Le parlement actuel (issu des dernières élections) est-il le reflet de la volonté des électeurs ?

Si le Parlement actuel était le reflet fidèle de la volonté des électeurs, le MRC y serait mieux représenté à l’Assemblée nationale.

Certes, à cause du très jeune âge de notre parti, nous n’avions pas présenté des candidats sur toute l’étendue du territoire national. Cependant, dans les quelques circonscriptions où nous étions en course les résultats officiels n’ont pas reflété la volonté des électeurs. Cette situation a été particulièrement criarde dans le département des Hauts Plateaux à l’Ouest du pays, où certaines élites du parti dominant, avec l’aide d’ELECAM et de l’administration, ont détourné la volonté populaire à des fins individuels ou grégaires ; dans le département du Mfoundi, siège des institutions de la République et circonscription électorale réputée politiquement la plus sensible, où le pouvoir a tout mis en œuvre pour assurer la victoire du parti dominant afin de valider l’exceptionnalité de la capitale en tant fief ethno-politique et bastion imprenable dudit parti .
Outre la collusion entre ELECAM, l’administration et le pouvoir au cours du scrutin,  l’existence d’un découpage électoral scandaleux a abouti  à une situation politique bien curieuse: avec quelque cent mille voix sur quatre cents mille dans la capitale, le MRC n’a obtenu aucun siège alors que dans certaines circonscriptions considérées comme des fiefs du parti au pouvoir, des candidats ont été élus avec dix fois moins de voix favorables!

En clair, l’instrumentalisation du découpage électoral combinée aux fraudes et à la partialité d’ELECAM n’ont pas permis à l’Assemblée nationale actuelle de refléter la volonté des électeurs. Le MRC n’est plus le seul à dénoncer cette situation. Alors qu’au lendemain du scrutin notre voix était quelque peu solitaire, d’autres partis politiques de l’opposition, et pas des moindres, nous ont largement fait écho par la suite.

Question n°3: Quelles réformes faut-il envisager pour améliorer le processus électoral?

Elles sont nombreuses et il serait difficile d’être exhaustif ici. Au sortir des élections de septembre dernier, notre parti, le MRC, a produit un important rapport sur le déroulement du double scrutin contenant des propositions précises en vue de la réforme du système électoral. Nous l’avons transmis au Président de la République, au Chef de Gouvernement, à ELECAM et aux amis du Cameroun. On peut évoquer, sans exhaustivité, la réforme d’ELECAM afin de la rendre indépendante du pouvoir. Cet organisme apparaît dans son fonctionnement actuel comme étant largement au service du parti dominant. Son professionnalisme est à parfaire, en particulier en ce qui concerne son personnel de base et d’appui.

Le découpage électoral doit être reconsidéré et réalisé bien avant la convocation du corps électoral et non pas après celui-ci. Le Conseil constitutionnel doit être mis en place, avec des personnalités réputées pour leur compétence, leur probité et leur indépendance d’esprit, car la Cour suprême qui en tient provisoirement lieu est surchargée par ses missions traditionnelles de juridiction suprême en matière judiciaire, administrative et des comptes publics et ne semble  pas avoir toujours le recul nécessaire pour  rendre les meilleures décisions en matière de contentieux électoral. Il est impératif de respecter le code électoral qui interdit le vote dans les casernes : au cours du dernier scrutin, rien que dans la capitale, près de 18.000 électeurs ont voté dans les casernes, souvent sous le regard de la sécurité militaire en violation du code électoral.

Il est indispensable d’instituer le bulletin unique. L’âge électoral doit être ramené à 18 ans. L’achat des votes doit être réprimé. Les procès-verbaux issus du scrutin doivent être produits en autant de volets que de parties intéressées et ces procès-verbaux doivent tous faire foi devant la justice, contrairement à l’état actuel de la législation où seul le procès-verbal d’ELECAM fait foi. Les résultats du scrutin doivent être publiés au sortir du bureau de vote. Il faudrait en outre garantir : le libre et égal accès des partis d’opposition aux médias à capitaux publics, en particulier pendant la campagne électorale;
la liberté de réunion des partis politiques de l’opposition;

la fin de la nomination des délégués de gouvernement dans les quatorze villes transformées en communauté urbaine, car cette nomination rend inutile les élections municipales dans les villes concernées;

l’adoption de mesures répressives contre les fonctionnaires qui entravent l’expression de la volonté populaire.

S’agissant plus particulièrement du scrutin présidentiel, il est impératif qu’il soit institué une élection à deux tours.

Pour les sénatoriales, il est anachronique que le Président de la République désigne trente sénateurs sur un total de cent! Ailleurs il s’agit d’une survivance du pouvoir monarchique ; mais le Cameroun n’a jamais été une monarchie, du moins à ma connaissance.

Question n°4: Les Camerounais ont-ils eu tort d’attendre un changement de gouvernement après ces élections ?

Une telle attente était non seulement légitime mais aussi en accord avec l’esprit des institutions constitutionnelles du pays. Légitime parce que l’état de la nation  en particulier la situation économique et sociale du pays commandait un renouvellement partielle ou totale de l’équipe gouvernementale pour donner un second souffle au septennat du Président actuel. Il a dressé lui-même un tableau pas du tout reluisant de la situation du Cameroun et annoncé un plan d’urgence dont on était en droit de penser qu’il serait élaboré ou du moins mis en œuvre par un Gouvernement rénové, face aux performances insatisfaisantes de l’équipe alors en place.

Une telle attente était par ailleurs conforme à l’esprit de la Constitution en vigueur qui a instaurée au Cameroun un régime semi présidentiel, ou semi parlementaire si l’on préfère, qui impose au Gouvernement de démissionner ou d’être démissionné après chaque élection législative ou présidentielle afin que les élections jouent leur fonction de légitimation du gouvernement. En s’abstenant de prendre un acte formel soit pour confirmer le Gouvernement en place, soit pour en nommer un nouveau, le Président de la République a accentué la pente monarchique du régime.

Cette manière de faire a coûté six bons mois de paralysie de l’administration et quatre mois de retard à l’exécution du budget 2014, car la perspective d’un remaniement gouvernemental a installé les ministres dans l’attentisme pendant ce temps où, comme à l’accoutumée, chacun d’eux était suspendu à la lecture  aussi espérée que redoutée de l’improbable décret présidentiel.

Question n°5: De l’extérieur, on a l’impression que le pays est en attente d’un messie qui viendra amorcer un nouveau départ. D’ailleurs, certaines populations ont cru voir Jésus apparaître à Yaoundé. D’après vous, qu’est-ce que cela révèle du Cameroun d’aujourd’hui?

Si cette observation était vérifiée elle serait pour moi une vraie source d’inquiétude. Car, lorsqu’un peuple en est réduit à  une espérance messianique, cela signifie qu’elle pourrait se jeter dans les bras du premier imposteur venu. Il faut se méfier des messies, car ils sont de l’ordre du supra humain et, dès lors, leur contrôle échappe nécessairement aux citoyens que nous sommes. Un messie politique est forcément condamné à décevoir, parce qu’on attend de lui ce qui ne relève que du divin. Il ne faut jamais oublier qu’un chef de l’Etat est un  être humain. Il est terriblement dommageable pour la République et le progrès du pays que l’on en soit venu à faire croire le contraire chez nous.

L’attente ou l’espérance d’un messie est en fait un signe d’impuissance face à toutes les vaines tentatives menées par les Camerounais pour obtenir une alternance pacifique et démocratique depuis 1992. C’est l’appel au secours d’un peuple en quête de libération parce qu’il est en danger de naufrage dans une paupérisation continue et une dictature rampante, presque débonnaire. Mais, j’ai envie de dire que les croyants ne doivent chercher dans la spiritualité que la force nécessaire pour leur auto-libération plutôt qu’un démiurge, car je crois que dans ce domaine comme dans bien d’autres Dieu agit par les hommes ; il n’opère pas directement par lui-même. Le salut des Camerounais viendra de leur capacité à se donner des dirigeants compétents, patriotes et intègres, ayant une bonne compréhension des enjeux et des défis du monde actuel, capables de fixer un cap pour le pays et de tracer le chemin. Pour se faire ils devront s’assurer que leur volonté électorale ne soit plus jamais détourné, afin qu’advienne le changement pour lequel ils ont consenti tant de sacrifice depuis bientôt un quart de siècle.

Question n°6: Un ministre en fonction (Louis Bapès Bapès) a été mis en détention puis libéré le lendemain. Vous qui avez été ministre délégué auprès du Vice-Premier ministre en charge de la Justice, comment avez-vous vécu cette affaire?

J’étais absent du Cameroun quand cet évènement s’est produit. Qu’à cela ne tienne, il n’est pas extravagant d’en dire quelques mots après les vagues qu’il a faits notamment dans les médias. D’abord sur la forme, au regard du mode de fonctionnement de l’Etat camerounais, il est difficile que la décision d’interpeller un membre du Gouvernement ait pu être prise proprio motu (de sa propre initiative) par un magistrat quel que soit son rang. L’interpellation dans les conditions relatée par les médias et la prompte remise en liberté du ministre en question sont révélateurs pour le moins d’un dysfonctionnent sérieux au sein de l’Etat. Dans n’importe quel pays démocratique cela aurait donné lieu à des clarifications des pouvoirs publics et prêté à conséquence.

Sur le fond ensuite, on relèvera d’emblée qu’en dehors de l’article 53 de la Constitution qui prévoit le cas où le Premier ministre et les autres membres du Gouvernement peuvent être traduits devant la Haute Cour de Justice pour complot contre la sûreté de l’Etat, rares sont les dispositions législatives qui traitent explicitement des poursuites judiciaires contre ces personnalités. Dans le cas que vous évoquez, le chef d’inculpation de l’intéressé tel que relayé par les médias serait le détournement des deniers publics. Divers praticiens du droit et autres intervenants dans le débat ont insisté abondamment sur le fait qu’en droit camerounais, un membre du Gouvernement ne bénéficie d’aucune immunité judiciaire. A la vérité la législation camerounaise en la matière  n’est pas aussi claire qu’elle y paraît. Par exemple, sans avoir fait une étude exhaustive de l’état de notre droit sur la question, il y a lieu de relever que l’article 127 du Code pénal, toujours en vigueur, punit d’un emprisonnement de un à cinq ans le magistrat ou l’officier de police judiciaire qui, contrairement aux lois sur les immunités poursuit, arrête ou juge un membre des Gouvernements fédéral, ou fédérés ou des Assemblées fédérale ou fédérées. Ceci indique assez clairement l’existence d’une loi sur les immunités non seulement des parlementaires, mais également des membres du Gouvernement. Les précédentes affaires ont montré que dans tous les cas où des membres du Gouvernement étaient impliqués, ils ont d’abord été démis de leurs fonctions avant leur interpellation puis mise en détention provisoire. S’agissait-il simplement d’une pratique de l’Exécutif ou au contraire du respect par celui-ci de la loi?

Quoi qu’il en soit de l’état du droit positif camerounais en la matière, l’on aurait pu éviter ce spectacle à la fois burlesque et consternant qui discrédite et l’Exécutif, et la Justice ; le comportement de cette dernière dans cette affaire a tendance donner raison à ceux qui dénoncent, pour l’un un Pouvoir diffus imprégné de ponce-pilatisme, et pour l’autre une Justice aux ordres incapable d’assumer la puissance amplifiée par son statut de Pouvoir constitutionnel au côté du Pouvoir Exécutif et du Pouvoir Législatif.

Question n°7:  L’emprisonnement est-il le seul moyen à mettre en œuvre pour lutter contre la corruption (petite ou grande) et les détournements de la fortune publique?

L’efficacité de la lutte contre la corruption repose, à mon avis,  sur deux aspects : l’aspect préventif et l’aspect répressif. Aucun des deux aspects ne devrait être négligé si l’on veut obtenir des résultats probants à court terme et durales à plus long terme.

Du point de vue préventif,  peuvent y contribuer efficacement : l’éducation civique des citoyens qui doit commencer très tôt aussi bien à l’école qu’en famille ; l’exemplarité des dirigeants de l’Etat et des entreprises tant publiques que privées à tous les niveaux, ainsi que  des parents qui sont généralement regardés comme des modèles de référence absolus par leurs enfants. J’insiste sur cette idée d’exemplarité, car on ne peut prôner une République exemplaire, pratiquer le contraire par laxisme ou par choix de mode de gouvernance et espérer que le reste de la société se contentera du « Faites ce que nous vous disons et ne regardez pas ce que nous faisons. »

L’aspect répressif, et donc l’emprisonnement, est absolument indispensable. S’il est établit au-delà de tout doute raisonnable qu’un citoyen a porté atteinte à la fortune publique, bref qu’il est coupable de corruption, soit comme corrupteur soit en tant que bénéficiaire, il doit subir les rigueurs de la loi. S’il en allait autrement, l’inaction dans ce domaine serait vite interprétée comme une prime à la délinquance et le sentiment d’impunité en la matière gagnerait l’ensemble de la société. Dès lors, au lieu d’être un phénomène marginal, la corruption gangrènerait la société toute entière. Si nous voulons réussir un développement rapide et inclusif de notre pays, il nous faut bâtir une société reposant sur le règne de la loi et non sur le règne du bon vouloir d’un homme ou de quelques personnes. Cela fait appel notamment à une exigence de valeurs de probité, de patriotisme et du respect absolu du bien commun.

Question n°8: Comment envisagez-vous l’avenir immédiat du pays?

Nonobstant les contestations qui ont suivi la proclamation des résultats de l’élection présidentielle de 2011 et des élections législatives et municipales de 2013, ces résultats électoraux sont désormais acquis. Ceux qui ont été déclarés vainqueurs sont aux affaires ; par conséquent, ce sont eux qui sont en charge de la gestion de l’avenir immédiat du pays. Il semble qu’ils ont gagné les différents scrutins sur la base de programmes. Les Camerounais attendent désespérément qu’ils les mettent en application afin de leur offrir de l’eau, de l’électricité, d’améliorer leur accès au soin de santé, de s’attaquer enfin au drame du chômage, de relever le salaire minimum garanti de 28.216 frs qui est aujourd’hui l’un des plus bas en Afrique et probablement au monde.  Le pouvoir a une majorité parlementaire écrasante qui lui permet de faire voter toutes les lois nécessaires. Mais malheureusement il se montre sans imagination face aux souffrances de notre peuple et aux défis multiformes auquel le pays est confronté. Le Gouvernement emprunte sans vergogne et évidemment sans le dire nos idées telles que reflétées notamment dans le projet de société du MRC. Ainsi il vient de lancer des appels d’offre ou de passer des marchés notamment pour l’élaboration d’un Schéma directeur d’aménagement du territoire, proposé par notre parti, ou pour l’étude de la création d’une bourse des valeurs agricoles/matières premières dont nous avons émis l’idée voilà quelque temps déjà. Nous attendons de voir la mise en œuvre, bien que dans ce dernier cas, ils ont mis la charrue avant les bœufs.

Le Cameroun a besoin d’un sursaut national qui passe par une inlassable pédagogie de l’enjeu et de la méthode : l’enjeu, c’est la Renaissance nationale; la méthode c’est celle d’une République enracinée dans la dévolution pacifique et démocratique du pouvoir. C’est pourquoi nous restons attachés au calendrier institutionnel. Dans cette logique nous sommes engagés à implanter notre parti sur l’ensemble du territoire national et au sein de la diaspora afin de diffuser notre vision dans les profondeurs de notre pays.

Question n°9: Faut-il s’inquiéter d’une éventuelle période de transition à la tête du pays?

Voici 18 ans que le Cameroun s’est dotée d’une nouvelle constitution avec des institutions dont certaines n’avaient jamais existé dans notre histoire constitutionnelle et dont l’objectif réitéré est de créer les conditions d’un fonctionnement normal de la vie politique du pays. Hormis le Conseil constitutionnel dont le rôle est crucial en matière d’élections nationales et dont l’absence est supplée tant bien que mal par la Cour suprême, l’essentiel de ces institutions est désormais en place et peut donc assurer la régulation normale de l’alternance au Cameroun. Par conséquent, sauf évènement extraconstitutionnel, je ne vois pas a priori pour quelle raison on devrait envisager une période de transition à la tête du pays.

Question n°10: Au regard des querelles qui ont récemment opposé des intellectuels sur les réseaux sociaux, le tribalisme est-il un danger pour la paix au Cameroun?

A propos du tribalisme au Cameroun, il faut relever pour le déplorer l’existence d’une tendance de plus en plus affirmée voire assumée à l’instrumentalisation des différences à des fins politiques. Bien évidemment, le fait tribal ou ethnique est, au Cameroun comme ailleurs une réalité socio-historique qu’il n’est pas question de couvrir de je ne sais quel voile. Mais dans le même temps, il y a toujours eu dans notre pays une volonté de dépassement, le refus de s’enfermer dans le carcan d’un phénomène que nul n’a choisi et qui ne peut être à ce point notre principal marqueur politique et social. Je vous donnerai un seul exemple, mais il en existe bien d’autres : le premier test électoral de notre parti, le MRC, a montré de façon remarquable que les Camerounais ont sur cette question des longueurs d’avance sur ceux qui, à l’intérieur comme à l’extérieur, abordent les défis politiques et économiques majeurs qui interpellent le Cameroun sous le seul prisme ethnique. En dépit des prédictions des partisans de la tribalisation du jeu politique ainsi que des fraudes massives orchestrées par le pouvoir, le MRC  a réalisé des scores plus qu’honorables dans toutes les régions du pays où il alignait des candidats.

Au demeurant, il suffit de parcourir les villes et les villages du Cameroun pour constater que, si la différenciation culturelle est une donnée objective léguée par l’histoire, l’opposition des tribus est quant à elle une construction de certaines élites politiques pour leurs besoins propres. Je suis frappé par le discernement dont les populations du Cameroun profond font preuve dans la compréhension  des véritables défis qui interpellent la nation. Ils démontrent  à souhait, dans les actes de la vie ordinaire,  leur volonté de vivre ensemble à travers les mariages et les différentes formes de solidarités que sont les associations, les partis politiques, les organisations religieuses etc. A mon avis, s’il y a une menace qui pèse sur le Cameroun, c’est celle des intérêts et des différents clans qui, au sommet de l’Etat, s’organisent pour tenter d’enlever au peuple le moment venu son droit de choisir librement ses dirigeants./.