19
Mai 2020

Mes chers compatriotes,

C’est dans la tristesse et la désolation que notre pays est entrain de vivre sa fête nationale, ce 20 Mai 2020, traversé qu’il est par de violents soubresauts.

Le Gouvernement en place continue d’imposer aux braves populations du Nord-Ouest et du Sud -Ouest cette guerre civile violente, barbare et inutile, qu’il a lui-même déclenchée à la suite des mouvements protestataires de novembre 2016, et dont le tribut est lourd et déplorable à plusieurs égards. Les témoignages des dégâts sont accablants : la multiplication des massacres de populations civiles innocentes, dont l’un des plus récents et emblématiques est celui perpétré à Ngarbuh le 14 Février par l’ armée, le cortège des victimes civiles et militaires de cette guerre; le drame de milliers de nos compatriotes réfugiés au Nigeria et la détresse de centaines de milliers de déplacés internes;

l’incendie des habitations, la destruction des infrastructures et le désastre socio-économique qu’engendre cette guerre. Et tout ceci se passe sous le regard indifférent d’un pouvoir arrogant et méprisant. Je saisis cette occasion pour honorer une fois de plus la mémoire de toutes les victimes de cette guerre atroce, et renouveler mes sincères condoléances à leurs familles, ainsi que mes souhaits de prompte guérison aux blessés. Il est plus que temps que des solutions pérennes soient apportées à cette situation insoutenable.

Mes chers compatriotes,

La fête nationale se veut un moment de communion et de célébration. Le peuple camerounais a assisté, médusé, à la cacophonie gouvernementale qui a entouré la décision d’annuler les cérémonies liées au 20 Mai de cette année.

Alors qu’un communiqué du Ministre de la défense annonçait l’organisation et le thème des festivités, le Secrétaire Général de la Présidence de la République signait le lendemain un autre communiqué portant annulation de ladite célébration, pour nécessité de respecter les mesures de distanciation sociale dans le cadre de la lutte conte le COVID-19. Et comme à l’accoutumée, chacun des deux communiqués était élaboré, nous a-t-on dit, sur prescription du Président de la République en fonction, M. Paul BIYA.

La fête Nationale est aussi une occasion d’introspection individuelle et collective sur le sens de notre vivre-ensemble et de l’unité nationale, au-delà des slogans officiels qui, face aux réalités quotidiennes, sonnent plus que jamais creux.

Est-il possible d’évoquer l’unité nationale dans un contexte comme celui que je viens de rappeler dans les Régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest; où, de surcroît, des citoyens sont brutalisés, violentés et jetés en prison pour avoir exprimé de manière pacifique leur désaccord sur la marche du pays? Peut-on parler d’unité nationale quand des dirigeants instrumentalisent sans vergogne la haine ethnique pour conserver le pouvoir, acquis du reste par la fraude?

Que devient l’unité nationale dans un pays traversé par de multiples fractures politiques, sociales et économiques créées et entretenues par ceux-là même dont le rôle aurait dû être de rassembler et d’unir les Camerounais?

La haine ethnique en particulier domine désormais les propos de nombreuses personnalités prétendant agir ou parler au nom de l’Etat, ainsi que ceux de personnes qui, au regard de leur trajectoire, auraient dû être les penseurs éclairants de notre société.

Le tribalisme d’Etat est désormais banalisé et décomplexé. Il se manifeste aussi bien dans les discours qu’à travers divers actes, au point où des rapports internationaux le dénoncent ouvertement.

Au-delà de son aspect commémoratif, voire festif, la fête nationale doit se concevoir comme un moment d’interpellation de notre conscience individuelle et collective sur la signification que nous donnons à notre statut de citoyen et sur notre ambition nationale.

Ne nous y trompons pas, personne ne viendra changer ou développer le Cameroun à la place des Camerounais. Notre destin dépend de nous et de nous seuls. Aucune puissance amie, si généreuse soit-elle, ne peut aimer notre pays plus que nous même.

Mes chers compatriotes,

La fête nationale de notre pays intervient cette année en pleine pandémie mondiale du COVID-19. Le Cameroun est classé à ce jour parmi les pays africains les plus affectés par ce virus, avec, au 17 mai 2020, comme chiffres officiels – controversés – un total de 3105 cas positifs, 1567 guérisons et 140 décès, sans compter ceux de nos compatriotes qui ont trouvé la mort à l’étranger.

Je m’incline devant la mémoire de toutes ces personnes, arrachées brutalement à l’affection de leurs proches et de la Nation, et enterrées souvent dans des conditions insoutenables, s’agissant en plus des personnes issues de communautés qui ont pour pratique d’honorer leurs morts. Je souhaite un très prompt rétablissement à tous les malades et porteurs asymptomatiques de ce virus meurtrier.

A nos personnels de santé, au corps médical et paramédical, je rends un vibrant hommage pour leur dévouement, leur courage, et le sacrifice consenti au quotidien, afin d’apporter soins, secours et assistance aux malades, parfois au péril de leurs vies. Vous êtes de braves soldats, envoyés au front avec peu de moyens.

Je salue aussi tous ceux qui, de près ou de loin, Camerounais de tous bords, associations, leaders d’opinions, religieux, et partenaires extérieurs, se mobilisent pour aider notre pays à faire face à cette terrible pandémie.

Constatant que les pouvoirs publics n’avaient pas été proactifs dans la lutte contre la propagation du COVID-19, malgré mes diverses propositions et mises en garde antérieures, j’ai lancé en ma qualité de citoyen camerounais, une initiative baptisée Survie-Cameroon-Survival Initiative (SCSI).

Cette initiative populaire non partisane n’est pas, n’en déplaise au Gouvernement, une association – même si elle n’exclut pas de le devenir dans le futur – Son but est uniquement humanitaire, à savoir porter un secours urgent complémentaire au peuple camerounais en danger face à la menace grave du COVID-19. Son Comité de gestion est dirigé par Monsieur Christian PENDA EKOKA, dont la probité est connue de tous.

Je remercie à nouveau les personnalités camerounaises et étrangères qui ont accepté de bonne grâce d’apporter leur précieux parrainage à cette Initiative citoyenne.

SCSI ne cherche pas une confrontation avec les pouvoirs publics. Elle n’entend pas supplanter l’action du Gouvernement dans la lutte contre le COVID-19, comment le pourrait-elle ! Elle veut seulement apporter sa contribution citoyenne à une guerre sanitaire qui interpelle toute la nation, et qui devrait être une occasion de mobilisation nationale et d’unité des Camerounais sans exclusive. Elle se poursuivra donc sans coup férir.

SCSI a réussi la mobilisation exceptionnelle des Camerounais de tous les bords, de tous les horizons, de l’intérieur comme de la diaspora, qui ont librement accepté de venir en aide à d’autres Camerounais en péril. Je tiens ici à remercier et à féliciter chaleureusement tous ces nombreux compatriotes dont la générosité a permis de donner corps à cette démarche de salut public. Je félicite également toute l’équipe SCSI, à commencer par le Président de son Comité de Gestion, qui ne ménage aucun effort pour assurer au quotidien l’exécution de ce projet.

Contre toute attente, SCSI subit des assauts barbares et répétés du régime en place, pour des raisons qu’il donnera un jour au peuple camerounais, je l’espère bien. Les actions de SCSI sont en effet criminalisées par le pouvoir qui empêche les populations de recevoir gratuitement des masques barrières et des solutions hydroalcooliques que ce pouvoir ne parvient pourtant pas à leur offrir.

Vous l’avez vu, six (6) volontaires humanitaires de SCSI ont été arrêtés et gardés à vue pendant plusieurs jours au commissariat de Mokolo à Yaoundé aux motifs qu’ils distribuaient de l’aide aux populations, tandis que Messieurs Christian PENDA EKOKA et Alain FOGUE, le Trésorier National du MRC, étaient convoqués et entendus par le Directeur de la Police Judiciaire.

Il leur a été opposé des charges aussi fantaisistes que la suspicion de blanchiment d’argent, l’escroquerie du peuple camerounais, le financement de la résistance aux institutions de la République.

Comme à son habitude, le régime illégitime, aveuglé par la haine et dépassé par la gestion du quotidien, continue d’instrumentaliser l’appareil étatique contre moi et les personnes proches de moi, y compris lorsqu’elles mènent des actions de salut national, comme dans le cas d’espèce.

Ce régime pousse la déraison et l’absurde au point de refuser des dons que le citoyen Camerounais que je suis, a offert au Gouvernement à travers SCSI pour protéger les professionnels de la santé face à cette pandémie, et pour aider au dépistage du COVID-19.

Faut-il rappeler que l’heure n’est pas à la démagogie, mais plutôt à la mise à commun de toutes les volontés et énergies dans cette bataille dans laquelle notre pays est mal engagé.

Il n’y a qu’à voir les décisions contradictoires et catastrophiques des autorités camerounaises pour se convaincre des insuffisances de l’approche gouvernementale.

Tandis qu’on nous annonce que celui qui assume les fonctions de Chef de l’État a annulé la célébration de la fête nationale par souci de respecter les mesures barrières indispensables pour la protection contre le COVOD-19, le Premier Ministre ordonne l’ouverture des débits de boissons et autres lieux de divertissement au-delà de 18heures.

Le Ministre de la santé quant à lui appelle les Camerounais à rester chez eux. Tandis que le Ministre de l’Administration Territoriale fait feu de tout bois. Tout ceci cache mal l’absence de leadership à la tête de notre pays. Et la question revient, lancinante : Qui dirige le Cameroun aujourd’hui? Où se cache Monsieur Paul Biya qui s’est pourtant octroyé la fonction de Président de la République, au mépris des urnes, à l’issue de l’élection présidentielle du 7 Octobre 2018?

Le pays est orphelin d’un Président qui l’a abandonné en pleine crise sanitaire, dans un contexte où tous les dirigeants du monde, même physiquement diminués, ont pris personnellement en mains la riposte au COVID-19 dans leurs pays.

L’épisode de la fameuse audience du 16 avril 2020, intervenu juste après le dépôt de le demande que nous avons faite le 11 avril 2020 au président de l’Assemblée nationale, aux fins de saisir le Conseil Constitutionnel pour  constater la vacance du pouvoir au sommet de l’Etat, n’a pas produit les effets politiques escomptés.
Pas plus d’ailleurs que l’autre audience du 13 mai dernier. Les Camerounais continuent de se demander où est passé Monsieur Paul Biya?

Ceux qui veulent diriger le Cameroun par le biais de la succession de gré à gré et leurs soutiens tentent d’expliquer qu’il est normal qu’un Président de la République disparaisse pendant des mois, abandonnant son peuple aux prises avec une pandémie qui sème la mort.

Et pour ces défenseurs de l’absurde, interrompre cette désertion pendant quelques minutes pour recevoir des personnalités étrangères, à supposer cela avéré, n’est pas un signe de mépris vis-à-vis du peuple Camerounais, alors même que le Premier ministre, Chef du Gouvernement n’a pas accès à lui.

Mes Chers compatriotes,

Vous conviendrez avec moi que l’unité de notre peuple et de notre nation est en péril dans ce contexte d’incertitudes et de turbulences. Même le Gouvernement ne donne pas à voir une cohésion, ne serait-ce que de façade, tellement il est traversé de part en part par des clivages que créent entre ses membres la guerre de la succession à la tête de l’Etat.

La guerre contre Boko Haram figure au rang de nos préoccupations majeures, avec la recrudescence des attaques sur notre sol après la période d’accalmie observée notamment grâce à l’appui de la communauté internationale, que je tiens a remercier une fois de plus. Je renouvelle l’expression de ma sympathie émue aux familles des victimes de cette autre guerre et mes vœux de prompt rétablissement aux blessés ainsi qu’un retour à une vie normale des populations des zones concernées.

La guerre civile dans le NOSO et la crise postélectorale persistent, alors que des solutions pérennes existent. Le MRC n’a cessé de faire des propositions constructives. Malgré l’indifférence du gouvernement, notre parti persiste dans cette voie. Dans cet esprit, je propose un cadre de résolution de la crise dans le NOSO et de la crise postélectorale comprenant un comité de haut niveau appuyé par un sous-comité :

– Le Comité de Haut Niveau est un comité politique chargé de la médiation et dirigé par un Président ou ancien Président Africain, assisté par le groupe de sages de l’Union Africaine.

Le Comité devrait, après consultation du Gouvernement camerounais et tous les principaux protagonistes, y compris ceux en détention, œuvrer pour la mise en place de mécanismes visant à arrêter immédiatement la violence et sa résurgence.

Ces mécanismes devraient bénéficier du soutien de la communauté internationale, tant au plan politique qu’au plan technique et financier. D’ores et déjà, je lance un appel pour un cessez-le-feu, même provisoire, à convenir, sans délai, entre les protagonistes du conflit armé avec l’assistance de l’ONU et l’UA.

Il s’agit d’un acte qui grandira toutes les parties belligérantes; d’un acte vital, car il permettra d’alléger les souffrances de nos pauvres populations, de créer les conditions de la mise en place du cadre des discussions et, dans le contexte actuel du Covid-19, de porter une assistance adéquate aux populations des deux Régions où la pandémie est désormais en recrudescence.

En même temps que le cessez-le-feu, s’impose, la libération de tous les prisonniers incarcérés dans le cadre de la crise anglophone, dont SISUKU AYUK TABE et ses partisans, et les 15 prisonniers d’opinion, militants du MRC, dont le Premier Vice-Président de notre parti, Mamadou YACOUBA « MOTA ».

Je saisis cette occasion pour réitérer à ces camarades du MRC encore incarcérés mon salut fraternel et patriotique et tous mes encouragements pour la bravoure et la dignité dont ils font preuve. Nous continuons de mettre en œuvre tous les moyens possibles pour leur libération.

– Le Sous-Comité est un organe technique chargé de l’élaboration des principaux projets de textes à soumettre aux discussions et à l’approbation du Comité politique, dont un projet de modification de la Constitution ou d’une nouvelle constitution et un projet de modification du Code électoral. Ce Sous-Comité de soutien technique pourrait être composé : de représentants des partis politiques présents dans le champ politique au cours des cinq dernières années au moins et qui ont réalisé les meilleures performances électorales au cours de cette période, d’Elecam, des ONG ayant une expérience avérée dans la résolution des conflits, la défense des droits de l’Homme et le renforcement des capacités démocratiques.

Plus largement, et dans le cadre de la lutte contre le COVID- 19, il est tout aussi urgent de libérer un plus grand nombre de détenus de nos prisons, la présence de ce virus dans des pénitenciers du pays étant désormais avérée.

Mes chers compatriotes,

Dans ce contexte où tout semble pousser à la résignation et au repli communautaire, j’invite chacun de vous à prendre appui sur le sacrifice de nos héros nationalistes et l’exceptionnelle volonté du vivre – ensemble qui a permis l’aboutissement de la réunification en 1961, pour garder espoir, et œuvrer sans relâche pour un Cameroun fier, respectueux de son héritage historique, doté d’une conscience nationale élevée et du sens aigu de l’intérêt national.

La Résistance nationale doit rester plus forte que jamais en cette période délicate, où le régime en place croit pouvoir tirer avantage de la pandémie du Covid-19 pour distraire le peuple camerounais de sa lutte courageuse pour le changement, et continuer d’arrêter, de torturer et d’emprisonner les militants et sympathisants du MRC, loin de l’attention des Camerounais et de la communauté internationale.

Nous n’accepterons pas – et vous non plus, je le sais – la succession de gré à gré dans notre pays, ni de nouvelles élections populaires sans une réforme consensuelle du système électoral. Seul le peuple camerounais devra choisir ses dirigeants légitimes, dans la liberté et la transparence démocratique.

Vous avez montré à diverses occasions, tant à l’intérieur du pays que dans la diaspora, que j’ai de bonnes raisons d’être fiers de vous, et de compter sur vous, pour qu’ensemble nous prenions notre destin en mains. Ne l’oubliez jamais, je vous aime du plus profond de mon cœur.

Bonne fête à toutes et à tous.
Yaoundé, le 19 mai 2020
Maurice KAMTO
Président Elu