Mesdames, messieurs,
Depuis environ cinq mois, les Régions du Nord-Ouest et du Sud-ouest du Cameroun sont en proie à une crise qui n’a cessé de gagner en ampleur, et a atteint désormais un niveau de gravité sans précédent depuis la Réunification de notre pays en 1961. Des revendications corporatistes des Avocats et du Syndicat des enseignants anglophones au départ, elle s’est transformée en une crise politique profonde du fait d’une mauvaise gestion par le Gouvernement et de l’exacerbation des frustrations des Camerounais Anglophones. Parce qu’ils se sentent mal à l’aise au sein de la Nation, pour diverses raisons, bon nombres de nos compatriotes des Régions en question demandent un retour au fédéralisme dans sa forme de 1961.
Le MRC a dit et réitère que réclamer une forme particulière de l’État, en l’occurrence le fédéralisme, n’est pas un crime. Rien ne nous interdit, en tant que Nation, d’en parler franchement, dans le cadre d’un dialogue sincère et constructif, où il serait également possible de convaincre les uns et les autres du bien fondé du régionalisme prévu par la Constitution en vigueur. Mais, on ne peut d’emblée créer des frustrations supplémentaires en jetant l’anathème sur tous ceux qui prononcent le mot “fédéralisme”, au nom de l’indivisibilité de la République. C’est un mauvais argument, car l’État peut être indivisible sous la forme fédérale. Qu’il suffise de rappeler que l’article 2 de la Loi Fondamentale de l’Espagne – État qui pratique un régionalisme où l’autonomie des régions est plus poussée que celle de beaucoup d’États fédérés dans le cadre d’une Fédération – (l’article 2 disais-je) dispose : « La Constitution s’appuie dans l’unité indissoluble de la Nation espagnole, patrie commune et indivisible de tous les espagnols, et reconnaît et garantit le droit à l’autonomie des nationalités et des régions qui l’intègrent et la solidarité entre elles ». Il faudrait donc éviter le fétichisme des mots, tant pour ceux qui revendiquent le fédéralisme que pour ceux qui ne veulent pas en entendre parler. Les mots disent et diront ce que nous voulons qu’ils disent, et le terme région peut dire autant et parfois plus que le terme fédéralisme.
Le Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC) est le seul parti à avoir proposé une solution concrète et pratique pour sortir de la crise actuelle. Notre profond attachement à l’unité de notre pays inspire nos efforts pour contribuer à la sortie rapide de cette crise. On ne réalise pas durablement l’unité d’un pays par les armes, mais par l’adhésion des uns et des autres au projet national. C’est la tâche de tous, des acteurs politiques, de la société civile, et principalement du Gouvernement de créer les conditions et l’entraînement nécessaires pour cette adhésion. Écouter les revendications fédéralistes ne signifie pas nécessairement y adhérer; dans une société en quête de ses bases démocratiques, il s’agit d’entendre la parole de ceux qui disent avoir un problème, d’échanger les arguments pour persuader les interlocuteurs du bien fondé, dans l’intérêt supérieur de la Nation, du modèle étatique que l’on défend.
Dans la violente répression qui s’est abattue sur les populations Anglophones, rien ne leur a été épargné: traitements cruels, inhumains et dégradants de jeunes étudiantes sorties des taudis qui leurs servent de résidence universitaire, forcées de se rouler dans la fange et de boire de l’eau souillée; viol de jeunes filles; assassinats de plusieurs jeunes protestataires par les forces de sécurité; interpellation et/ou arrestations massives des leaders légitimes actuels et de nombreuses élites anglophones, dont un Avocat général à la Cour Suprême, le plus haut magistrat anglophone et de plusieurs Avocats; convocation et interrogatoire d’un ancien Bâtonnier de l’Ordre des Avocats du Cameroun. En raison de l’insécurité permanente dans laquelle elles vivent désormais, ces élites anglophones sont actuellement sur le qui-vive; certaines parmi elles sont contraintes à prendre le chemin de l’exil.
Chacun de ces faits constitue une violation grave des droits de la personne humaine contenus dans des instruments juridiques internationaux auxquels le Cameroun a souscrit.
La communauté internationale est restée étrangement silencieuse depuis le début de cette crise devenue meurtrière, qui compromet l’avenir éducatif des jeunes Camerounais des régions anglophones, et accroît la difficulté de vivre des populations déjà appauvries. On n’a entendu ni le Secrétariat général des Nations Unies, ni le Haut Commissariat des Droits de l’Homme des Nations Unies, ni le Bureau régional des Nations Unies pour l’Afrique Centrale, ne parlons pas du Centre pour la Démocratie et les droits de l’Homme de Yaoundé qui est inexistant. Aucune commission d’enquête, aucun communiqué sur les événements.
Le Conseil de sécurité a choisi de ne pas se pencher sur la situation au motif qu’elle n’est pas de nature à porter atteinte à la sécurité internationale, et que la situation serait de toutes façons sous contrôle du Gouvernement. Il aurait donc fallu que ce soit une insurrection armée débordant sur les pays voisins à travers des flots de réfugiés, qu’il ait davantage de morts pour que le Conseil de sécurité puisse s’exprimer au moins à travers une déclaration de son président. Mais, le fait que cette crise ne s’internationalise pas n’est-il pas la preuve que nos compatriotes anglophones ne sont pas engagés dans un conflit armé, et que pour cette raison même ils ont droit à une protection effective du Gouvernement ou, à défaut, de la communauté internationale? Il n’y a pas de différence entre les Camerounais tués par Boko Haram et ceux qui tombent sous les balles des forces de sécurité nationales; sinon que la douleur est plus vive encore dans le second cas, parce que les victimes sont tuées, sur ordre de l’État, par des forces de sécurité qui ont mission de les protéger.
Le Fonds monétaire international (FMI) estime pour sa part que cette crise et sa curieuse gestion par le Gouvernement – qui a préféré priver les régions anglophones de l’Internet depuis plus de deux mois au lieu de chercher des réponses adéquates à leurs revendications – ne sont pas source d’inquiétude, parce qu’elle n’affectera pas les prévisions de croissance.
Les missions diplomatiques bilatérales regardent ailleurs et s’activent autour des intérêts de leurs pays au Cameroun. C’est leur droit d’ignorer les souffrances des populations de deux Régions entières du Cameroun; mais qu’elles nous épargnent l’hypocrisie de leurs déclarations enflammées au sujet de leur volonté d’œuvrer pour le bien-être des Camerounais et l’avenir de notre pays.
La communauté internationale est l’origine du problème dans lequel le Cameroun est empêtré aujourd’hui. Nous n’avons pas demandé à être divisé entre anglophones et francophones, c’est le résultat des appétits de conquêtes territoriales des puissances mondiales; c’est cette communauté internationale qui a regardé, sans broncher, le plébiscite faussé de 1961, qui a amputé notre pays du Cameroun septentrional. Elle ose dire aujourd’hui qu’il ne se passe rien dans les Régions du Nord-Ouest et du Sud-ouest.
Le cri de nos compatriotes anglophones, que l’on essaie d’étouffer, sans vergogne, vient du tréfonds de notre histoire: c’est le cri de Douala Manga Bell et de Ngosso Din protestant contre l’accaparement des terres par le Puissance protectrice allemande, cri relayé par Martin Paul Samba; le cri de Ruben Oum Nyobe, Félix Moumié, Ossende Afana, Ernest Ouandié et nombre de leurs camarades, assassinés parce qu’ils revendiquaient l’indépendance nationale et la réunification immédiates; le même cri hurlé depuis 1990 par les nombreuses victimes de la lutte pour la démocratie; le cri tonitruant des jeunes massacrés en février 2008 parce qu’ils s’opposaient à la suppression de la limitation du mandat présidentiel fixée par la Constitution, et en 2017 parce qu’ils prononcent le mot “fédéralisme”.
Ces sacrifices ne seront pas vains, comme pourraient le penser, vaniteux, ceux qui n’affichent qu’indifférence et cynisme à l’égard des souffrances de leurs propres compatriotes. On en tuera encore, à armes déployées ou à petit feu, à l’usure. Cela prendra le temps que cela prendra, mais le peuple camerounais triomphera.
La communauté internationale semble avoir déjà oublié les tragédies du Rwanda et des Balkans qui l’ont amenée à adopter, au Sommet mondial de 2005, le document sur la Responsabilité de protéger, appuyé par la résolution 1674(2006) du Conseil de sécurité. Comme l’on sait, ce principe s’applique “aux crimes et violations spécifiés”, et sa mise en œuvre ne prend pas uniquement la forme du recours à la force, comme ce fut le cas en Libye en 2010; elle comporte un aspect de “déploiement préventif” dont l’objectif est d’aider de diverses manières à soulager les souffrances et à limiter la violence. Combien de morts et quel niveau de violence faut-il pour que soit mise en œuvre cette dimension préventive de la responsabilité de protéger?
Le sort de nos compatriotes anglophones n’émeut pas la communauté internationale; ce ne sera pas le sort similaire de l’ensemble du peuple camerounais qui les intéressera davantage demain. Sinon, pourquoi n’a-t-on entendu à aucun moment cette communauté internationale s’intéresser aux causes de l’échec patent de la biométrie en matière électorale au Cameroun, alors qu’elle avait assuré l’opposition, quand celle-ci s’inquiétait, qu’avec la biométrie et les équipements techniques allemands, il n’y aurait plus de fraude électorale, notamment de votes multiples au Cameroun? Comment peut-on expliquer que l’Union européenne, qui avait déclaré avoir mis à la disposition du Gouvernement camerounais des financements pour la réussite de cette opération, ne se soit pas assurée de son succès? Pourquoi le Cameroun est-il l’un des rares pays à ne pas disposer d’un système biométrique complet pour les élections?
Que la communauté internationale ne distraie plus les Camerounais avec des réunions inutiles, des formations sans lendemain; qu’elle n’endorme plus les Camerounais avec des observateurs électoraux qui n’ont jamais aidé à l’établissement de la vérité électorale, et dont les conclusions sont connues d’avance, parce qu’elles sont toujours les mêmes: “les élections se sont déroulées de manière globalement satisfaisantes”, nous dit-on chaque fois. Que cette communauté-là laisse le peuple camerounais se concentrer sur son sort, puisqu’il sait ne devoir compter que sur lui-même; car, on a compris: les Camerounais peuvent mourir, ce sera toujours le bon moment pour les uns et les autres de faire de juteuses affaires: Business as usual!
Les Camerounais doivent rester vigilants. En effet, la méthode appliquée par le Gouvernement à la gestion de la crise anglophone – faite de répression d’un extrême violence, d’arrestations massives et de détention arbitraire des personnes considérées comme leaders de la contestation, de la militarisation des zones de contestation, de l’utilisation éhontée d’une loi liberticide prétendument anti-terroriste contre des citoyens sans armes – est un rodage, une répétition générale de ce qui sera mise en œuvre en 2018, ou avant, si les élections ou les questions électorales devaient donner lieu à des contestations dans notre pays. Et la fameuse communauté internationale restera muette; comme elle est restée muette après la manœuvre constitutionnelle, la coupure de l’internet, la violence d’Etat et les arrestations au Congo, après la violation flagrante de la Constitution suivie des massacres politiques au Burundi, après les manipulations électorales et les assassinats politiques au Gabon, après élections la violation, le glissement forcé du calendrier électoral et les massacres politiques en République démocratique du Congo.
Mesdames, messieurs,
Depuis mon départ du Gouvernement et mon adhésion, pour la première fois de mon existence, à un parti politique, le MRC, il existe au cœur du pouvoir un Cabinet Noir qui travaille avec détermination à ma mise à l’écart de la compétition politique par tous les moyens. Je dis bien par tous les moyens ! Ce Cabinet Noir a longtemps fouillé, mais en vain, dans ma gestion des affaires publiques. Il s’est lancé dans une scabreuse affaire sur ma réputation scientifique; a monté et entretenu dans l’opinion une fumeuse affaire de marché public portant su 14 milliards de francs CFA.
Désormais, c’est parce que dès sa création en 2012 le MRC a indiqué que la question anglophone est un des problèmes politiques urgents à résoudre, pour une République apaisée; que la résolution pacifique de ce problème est un test politique pour le vivre ensemble dans notre pays; que le MRC s’est engagé à la résoudre par le dialogue, s’il est porté au pouvoir par les Camerounais, (c’est désormais, disais-je, pour ces raisons) que ce Cabinet Noir est tenté de me priver de la possibilité, si elle m’est accordée par mes camarades du parti, d’aller à la rencontre des Camerounais à l’occasion des échéances électorales cruciales à venir.
En effet, sur la base de conseils que j’ai prodigués en public au Gouvernement par des moyens laissant trace, pour la recherche d’un dialogue politique constructif avec les compatriotes des Régions anglophones, de mes activités comme un des avocats des nouveaux leaders anglophones – et pas des sécessionnistes avec qui le MRC et moi-même n’avons jamais discuté – les experts de ce Cabinet Noir, qui redoutent l’alternance démocratique dans notre pays, travaillent en ce moment en vue de me faire arrêter et inculper, soi-disant pour activités terroristes.
Par ces méthodes, les membres de ce Cabinet Noir ne font pas montre d’un grand courage démocratique. En effet, effrayés par le désastre social et économique de leur gestion inconséquente du pouvoir qui a installé le pays dans une paupérisation et un désordre sans précédents, ils redoutent le débat démocratique fondé sur les idées et les projets politiques au cours duquel ils seraient amenés à faire face aux Camerounais. Cet échec économique, qui se reflète dans la gestion calamiteuse des finances publiques que démontre le retour du Cameroun au FMI, ne doit pas les pousser à mettre le pays en péril.
Ils doivent savoir dès à présent que pour défendre mon peuple, pour l’avenir des enfants de ce pays, dont ils ont patiemment obscurcit l’avenir, et pour la mémoire de tous les patriotes nationalistes tués dans le combat pour l’indépendance, la lutte pour la liberté sous le régime de fer du président Ahidjo, la lutte pour le retour du pluralisme politique et l’instauration de la démocratie dans notre pays pendant les années 1990, lors des révoltes populaires de février 2008 contre la révision dans le sang de la constitution, et plus récemment au cours des revendications de mes compatriotes des Régions anglophones, je suis prêt à affronter leurs obscurs projets!
À tous les Camerounais, je réitère mon message de confiance: Inscrivez-vous massivement sur les listes électorales, retirez vos cartes d’électeurs et allez voter massivement lors des échéances électorales à venir pour vous faire entendre par et dans les urnes. De la sorte nous pouvons œuvrer pour que les malheurs et les douleurs de notre pays ne se prolongent pas indéfiniment.
À la communauté internationale dans son indifférence complice, il y a lieu de rappeler que notre terre est une terre des luttes et de résilience, et que même abandonné à lui-même, le peuple camerounais survivra. Mais, il n’oubliera pas!
Maurice KAMTO
Président National du MRC
Yaoundé, le 03 avril 2017