Le 18 août 2020, l’opinion publique internationale a pris connaissance de la survenance au Mali d’un putsch qui a conduit le Président Ibrahim Boubakar Keita à annoncer sa démission, la dissolution du gouvernement et de l’Assemblée nationale. Ce coup d’État a conduit en outre à l’arrestation, par ses auteurs, du Président et de certains de ses proches, ainsi que de hauts responsables de son régime, dont son Premier Ministre.
Ce coup de force fait suite à une série de manifestations populaires qui avaient envahi les rues de Bamako et du Mali. Ces manifestations, organisées sous la conduite notamment du mouvement M5, demandaient, entre autres, la fin de la corruption et de la fraude électorale, la réforme du Conseil constitutionnel, la démission des députés allégués mal élus, du Premier Ministre et finalement celle du Président Ibrahim Boubakar Keita lui-même.
Depuis la survenance du coup de force de BAMAKO, on assiste à une vague de réactions à l’échelle internationale, provenant aussi bien des acteurs étatiques que des organisations internationales à l’instar de la CEDEAO, de l’Union Africaine, des Nations Unies, de la France, des États-Unis. Ces réactions condamnent ce qu’il est convenu d’appeler un « Changement anticonstitutionnel de pouvoir » et exigent le retour à l’ordre constitutionnel.
Le Mouvement Pour la Renaissance du Cameroun (MRC) n’est pas un acteur politique de la République sœur du Mali. Toutefois, les évènements en cours dans ce pays et les réactions qu’ils suscitent interpellent d’autres pays africains, en ce que les causes de ces évènements et l’attitude de la communauté internationale rappellent peu ou prou la situation qui prévaut dans d’autres pays africains, dont le Cameroun.
Le MRC réaffirme son attachement constant et renouvelé au respect des principes démocratiques, notamment l’exigence d’user de moyens pacifiques et électoraux pour accéder au pouvoir.
Le MRC tient cependant à souligner, à l’attention de la communauté internationale, que la proscription du « Changement anticonstitutionnel de gouvernement » n’a pas été conçue contre les peuples, véritables détenteurs de la souveraineté. Ce principe a été conçu pour protéger la démocratie et non pas des dictateurs qui, sitôt arrivés au pouvoir, fût-ce par la voie électorale, détruisent les mécanismes démocratiques d’accession au pouvoir. Il vise à interdire le renversement d’un pouvoir qui fonctionne démocratiquement et répond aux aspirations multiformes du peuple. Aussi, la communauté internationale ne saurait-elle donner l’impression de protéger des dirigeants despotiques, corrompus, artisans de la mauvaise gouvernance qui empêche le développement des pays africains. Elle doit entendre aussi la voix des peuples sur la façon dont ils sont gouvernés.
Force est de constater que les peuples sont souvent abandonnés à leur triste sort par cette communauté internationale quand les gouvernants sous lesquels ils vivent se transforment en leurs bourreaux. Ils sont abandonnés à eux-mêmes lorsqu’ils dénoncent, y compris par des manifestions pacifiques géantes, les manipulations constitutionnelles par certains dirigeants pour s’éterniser au pouvoir contre la volonté de la majorité des populations; l’édiction de codes électoraux taillés sur mesure pour perpétuer leur régime à travers des élections entachées de fraudes massives; la mise en place d’organes électoraux et de juridictions constitutionnelles tout à la solde des dirigeants et des partis politiques au pouvoir. À cet égard, certains dirigeants n’hésitent pas à rejeter les décisions des juridictions compétentes comme la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples et la Cour de Justice de la CEDEAO, sans susciter la moindre réaction, encore moins des sanctions de l’Union africaine et de l’ensemble de la communauté internationale.
C’est le lieu de rappeler que le totalitarisme, la pire forme de dictature, fut mise en place dans l’Allemagne nazie par un régime issu d’élections démocratiques ! De même, le régime de l’Apartheid procédait d’un gouvernement démocratiquement élu et représentait bien « l’ordre constitutionnel » du moment en Afrique du Sud. Telle était également la situation du régime raciste en Rhodésie du Sud.
La question de fond qui se pose est celle de savoir si la communauté internationale peut cautionner un ordre constitutionnel injuste et illégitime et condamner son renversement sans mépriser les droits fondamentaux des citoyens et des peuples. Le droit de résistance à l’oppression est reconnu en droit international et divers peuples d’Europe en ont fait usage hier et aujourd’hui encore, avec la compréhension, voire le soutien de la communauté internationale.
Si la prise de pouvoir par la force, comme c’est le cas actuellement au Mali, est incontestablement un « changement anticonstitutionnel » de gouvernement, la mise en échec de l’alternance démocratique et le maintien au pouvoir contre la volonté du peuple souverain ne sont pas moins des logiques de perpétuation anticonstitutionnelle de gouvernement qui doivent être condamnées et sanctionnées avec plus de vigueur encore par la communauté internationale.
L’article 23 alinéa 4 de la Charte Africaine de la Démocratie, des Élections et de la Gouvernance (CADEG) consacre sans ambages cette position et considère dès lors les « hold-up électoraux », à l’instar de celui perpétré au Cameroun à l’issue de l’élection présidentielle d’octobre 2018, comme de véritables coups d’État, eux aussi. Telle est aujourd’hui la position du droit positif africain sur la question des changements anticonstitutionnels de pouvoir.
La communauté internationale, et singulièrement l’Union Africaine à travers notamment son Conseil de paix et de sécurité, conformément aux dispositions pertinentes de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP) et celles de l’article 25 de la Charte Africaine de la Démocratie, des Élections et de la Gouvernance (CADEG), sont interpellées pour plus de cohérence. Elles gagneraient en crédibilité si elles s’impliquaient sincèrement dans tous les types de « changements anticonstitutionnels » de gouvernement et se tenaient fermement aux côtés des peuples et des citoyens face à la violation, par les pouvoirs en place, de leurs droits et libertés fondamentales.
C’est le lieu de relever, pour le déplorer, l’inaction de la communauté internationale face aux massacres perpétrés depuis bientôt quatre ans dans le cadre du conflit armé dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du Cameroun ainsi que son manque de volonté d’amener le pouvoir en place à mettre un terme à cette guerre civile absurde et désastreuse, nonobstant les milliers de morts et les violations continues du droit international qu’elle engendre.
Les condamnations de la communauté internationale semblent se concentrer sur les conséquences et non pas sur les causes des « changements anticonstitutionnels » de pouvoirs, se refusant de prescrire la mise en place consensuelle des règles du jeu démocratique afin d’éviter le recours à de tels changements au pouvoir. Il est grand temps d’aller au-delà de l’incantation autour de certains concepts et d’aider les peuples à s’attaquer aux causes profondes des maux qui minent nos États.
Il reste à espérer qu’à la suite de ce coup de force visiblement soutenu par une frange importante de la population malienne, que les conditions d’une démocratisation réelle, protectrice des droits et des aspirations du peuple malien soient mises en place, afin de garantir le retour à une situation normale où un pouvoir civil sera au service du peuple. Le peuple du Mali a besoin d’être soutenu dans ce sens et non pas d’être étouffé par des sanctions inconsidérées et somme toute déraisonnables.
En ce qui les concerne, le MRC et la Résistance nationale camerounaise se tiendront toujours aux côtés du peuple camerounais dans sa lutte pour la libération nationale, un progrès partagé et la construction d’un État de droit moderne, solide, démocratique et rayonnant au plan international.
Yaoundé le 21 août 2020
Le Président national
Maurice Kamto
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